On lira avec émotion, enthousiasme et compassion les « Mémoires d’une féministe intégrale », recueil de trois textes présentés par l'universitaire Christine Bard. Féministe radicale de la Belle Époque aux années 1930, Madeleine Pelletier n’a pas formellement rédigé de « Mémoires » mais s’est à deux reprises laissée aller à l’écriture de journaux ou de textes autobiographiques et, à la fin de sa vie, a livré sa jeunesse à Hélène Brion, autre féministe radicale condamnée pendant la Grande Guerre à trois ans de prison avec sursis pour pacifisme.
Ces trois textes permettent de suivre Madeleine dans sa jeunesse, mais aussi aux premiers mois de la Première Guerre Mondiale. D’autres éléments permettent de questionner sa vie et ses engagements, comme par exemple son roman autobiographie La Femme vierge, ou encore le livre dans lequel elle raconte son incroyable périple pour rejoindre la Russie soviétique en 1921.
Née dans un milieu pauvre parisien, mère royaliste et bigote, père rapidement handicapé et aimant, Madeleine Pelletier s’engage dès l’adolescence dans la mouvance anarchiste parisienne, tout en concevant une haine farouche contre les inégalités de genre de son temps. A rebours de nombre d’autres féministes, elle considère le vêtement féminin comme un instrument d’oppression des femmes, s’habillant « en homme » et arborant des cheveux courts vingt ans avant la mode des garçonnes. Au grand dam des milieux politiques dans lesquels elle a gravité toute sa vie !
Au fil de la lecture de cet ouvrage présenté et annoté par Christine Bard, Madeleine est radicale aussi bien politiquement que socialement : favorable au droit à l’avortement, au droit de vote (candidate illégale elle-même), elle se forme auprès d’anarchistes après avoir quitté l’école prématurément, reprend des études pour s’orienter vers la médecine, devient la première femme interne en psychiatrie, intègre la franc-maçonnerie, entre et milite à la SFIO étant un moment proche du radical Gustave Hervé, se récrie contre la folie nationaliste entraînée par la Guerre, mais sans pour autant alors militer ouvertement pour les idées pacifistes. On la retrouve au sortir du conflit adhérant au communisme, au point de risquer sa vie pour aller voir, clandestinement, les effets de la révolution bolchevique, périple qu’elle raconte dans Mon voyage aventureux en Russie communiste (1922). Madeleine organise, publie des ouvrages, des brochures, des petits journaux, dirige un moment un cercle féministe, se désole du manque de radicalité et d’engagement des femmes autour d’elle… Mettant en pratique son vœu d’un droit à l’avortement, elle aide une mineure violée par son frère à avorter. Lui n’est pas inquiété, Madeleine et la jeune fille sont condamnées… Madeleine Pelletier meurt peu de temps après avoir été internée en asile d’aliénée, conséquence de sa condamnation, achevant une vie d’incroyables engagements à rebours des idées dominantes, une vie souvent faite de grande solitude.
Grâce à la présentation et la contextualisation des trois textes autobiographiques réunis dans ces « Mémoires d’une féministe intégrale », on découvre une Madeleine courageuse, déterminée, confrontée aux violences du patriarcat, mais faisant face et cherchant sans compromis la voie de la liberté.
Ces Mémoires constituent une belle introduction, avant de lire les ouvrages de cette féministe intégrale et de découvrir d’autres aspects de son cheminement et de ses engagements divers et parfois contradictoires. Une féministe radicale et très en avance sur son temps à découvrir ou à redécouvrir absolument !
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