J’étais chargée de production, j'accompagnais un projet depuis sa conception jusqu’à sa réalisation. J'ai travaillé sur un certain nombre de documentaires plutôt historiques et puis un jour j'ai découvert Madeleine Pelletier. C’est elle qui m’a donné envie de passer à la réalisation. Le point de départ, c'est une série d'articles dans Télérama à l'occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale, articles qui mettaient en lumières des femmes qui s’y étaient illustrées. Je suis tombée sur une photo de Madeleine Pelletier, et c'est la photo qui m'a d'abord interpellée. Celle où elle est devant un mur de briques avec son chapeau melon. Elle m’a intriguée et j'ai eu envie d'en connaître plus sur elle. J’ai commencé à lire et à récolter tout ce que je trouvais à son propos et de fil en aiguille, l'idée a germé de lui consacrer un documentaire.
Depuis les années 1970, les recherches et les publications sur Madeleine Pelletier ont été nombreuses. Mais il existe peu d'images d'elle. Comment avez-vous résolu cette difficulté ?
Il y a les publications de Claude Maignien, Charles Sowerwine, Felicia Gordon et bien sûr celles de Christine Bard ainsi que son colloque de 1992. En effet, il existe peu de documents photographiques. Avec mon mari qui a co-réalisé le film, nous sommes donc partis à la recherche d'images des congrès de la SFIO auprès de marchands de cartes postales anciennes. Nous avons retravaillé ces archives pour essayer d'en améliorer la qualité et passé un certain nombre d'heures avec un petit œilleton à scruter des cartes postales et à retrouver une toute petite tête qui était cachée et qui était Madeleine Pelletier. C'était à chaque fois très émouvant. Pour pallier l’absence d’images, il fallait trouver quelque chose. Il se trouve que j’ai une amie de très longue date qui ressemble physiquement à Madeleine Pelletier. Je lui ai fait lire le projet et lui ai demandé si elle voulait être « ma » Madeleine Pelletier. J’ai la chance qu'elle m’ait tout de suite dit oui. Nous avons donc pris le parti de l’évocation.
Le documentaire ne suit pas tout à fait le fil chronologique. Quel est le parti pris ?
En effet, le récit n’est pas chronologique. Son fil conducteur est constitué d’extraits du journal fictif d'Hélène Brion (1882-1962) qui a côtoyé Madeleine Pelletier pendant près de trente ans et qui est la seule à être allée lui rendre visite à l’asile de Perray Vaucluse pendant les 6 derniers mois de sa vie. Ces extraits de pseudo journal font le lien entre les différents thèmes abordés. Ils ponctuent le commentaire en le rendant moins académique et jouent sur un registre plus intime avec un éclairage plus personnel sur les faits et les personnages.
Madeleine Pelletier a été redécouverte par des féministes dans les années 70. Comment réagissent les femmes et les féministes aujourd'hui lors des projections du film ? Se sentent-elles une proximité particulière avec elle ?
La réaction qui prédomine généralement est celle de se dire « Comment est-il possible qu’une telle personnalité puisse encore être si mal connue ? ». La triste actualité des combats de MP concernant la remise en cause du droit à l’avortement aux États-Unis ou en Pologne - sans parler des 21 pays où l’IVG est totalement interdite - est un sujet qui les fait particulièrement réagir. Lors des débats qui suivent généralement la projection, ce qui fait réagir également est le fait que les copropriétaires de l’immeuble de la rue Monge où MP vécu pendant 17 ans on refusé qu’une plaque y soit apposée. Un collectif féministe a proposé qu’un collage soit organisé sur l’immeuble en question.
Quel est pour vous le trait le plus marquant dans la personnalité ou l'itinéraire de Madeleine Pelletier ?
Son courage, indiscutablement. De par son milieu d’origine extrêmement défavorisé, rien ne prédestinait Madeleine Pelletier à faire de longues études et à devenir médecin. Sa vie entière est une succession de combats, pour elle même et pour les autres. Pour accéder à la profession qu’elle souhaitait, pour entrer en franc-maçonnerie, dans les cercles féministes ou les partis politiques, pour que le droit de vote des femmes et celui à l’avortement soient reconnus. Il en fallait du courage pour clamer haut et fort son adhésion aux thèses malthusianistes tout en pratiquant des avortements. Son absence de concessions et le fait qu’elle refuse obstinément de se comporter selon les normes qu’on cherche à lui imposer lui attirent pas mal d’ennuis et d’ennemis. Il y a quelque chose de l’ordre du schéma répétitif dans la vie de Madeleine Pelletier, une espèce de cercle infernal dont elle n’arrive pas à se sortir. Quels que soient les milieux qu’elle fréquente son ascension est fulgurante, puis très rapidement, sa radicalité lui crée des fortes inimitiés et on cherche à l’exclure.
https://www.facebook.com/SurLesTracesDeMadeleinePelletier/?locale=fr_FR
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