mercredi 5 mars 2025

Madeleine Pelletier au « Club du Faubourg », vue par Bils


La féministe Madeleine Pelletier a donné des centaines de conférences, se confrontant de 1905 jusqu’à sa mort à un large public politisé de Paris et de province. Dans les années 1920-1930, elle s’impose comme une figure majeure du Club du Faubourg, fondé par le militant socialiste puis communiste, Léo Poldès. Elle y intervient 383 fois, devant André Kaminker (361 interventions), seules personnalités à débattre à plus de 300 reprises au « Faubourg », selon Claire Lemercier (Le Club du Faubourg, Tribune libre de Paris 1838-1939). D’après L'Annuaire international des lettres et des arts (1922) qui publie les annonces des associations, le Club du Faubourg a pour but de « commenter en commun à l'aide de controverses courtoises tous les grands événements littéraires, artistiques ou politiques d'actualité.(…) Seule condition : la sincérité. Au Club du Faubourg, chaque samedi prennent la parole, sans distinction de tendance ou d'opinions, des écrivains des deux sexes. »

Ces débats contradictoires qui rencontrent un grand succès dans le tout Paris de gauche, sont principalement animés par des hommes, le capital culturel nécessaire à ce genre d’exercice étant alors difficilement accessible aux femmes. La performance de Madeleine Pelletier en est d’autant plus remarquable, puisant dans sa formation médicale (thèse de médecine, internat en psychiatrie, anthropologie) et dans la multiplicité de ses engagements politiques (féminisme, franc-maçonnerie, socialisme, communisme, libre-pensée, anarchisme…), cette capacité à intervenir sur de nombreux sujets, à faire preuve d’humour et à être perçue comme une conférencière de premier plan, capable à l’occasion de s’imposer physiquement. 

Le Faubourg aurait néanmoins très bien pu devoir se passer d’elle. En effet, elle y intervient une première fois dans la deuxième quinzaine de juillet 1921, sur le thème « sensationnel » de « L’envoûtement : Peut-on tuer à distance ! ». Le débat, présenté par Léo Poldès, confronte les docteurs Jaworski, la doctoresse Madeleine Pelletier, Buisson… » Le mois suivant, la doctoresse, qui a adhéré au tout jeune Parti Communiste l’année précédente, s’embarque dans un incroyable périple à travers l’Europe pour rejoindre la Russie soviétique. Un voyage « aventureux » et plein d’embûches (publié sous forme de livre en 1922), la petite presse militante diffusant dans les semaines qui suivent son départ des informations inquiétantes sur son arrestation en Lituanie. Madeleine Pelletier a en effet dû se résoudre à une traversée européenne clandestine, un visa officiel lui ayant été refusé. La tension entre communistes et anticommunistes est alors à son comble en Europe et les militant.es favorables au nouveau régime russe peuvent payer de leur vie leur passage dans des régions dominées par les « blancs » ou par des régimes nationalistes. La difficulté est bien sûr accrue pour une femme qui voyage seule, sujette à des agressions, ou alors perçue comme suspecte, surtout lorsqu’elle arbore une expression de genre masculine !

Mais en novembre 1921, après avoir séjourné à Moscou, Madeleine Pelletier revient en France et la voilà de nouveau au Club du Faubourg pour un « grand meeting » avec les docteurs Hervé, Vachet et Jaworski » (L’Humanité, 14 novembre 1921).

On ne connaît pas de photographie permettant d’appréhender visuellement les interventions de Madeleine Pelletier au Club du Faubourg. Néanmoins, deux dessinateurs l’ont « croqué » en pleine activité oratoire, dont le dessinateur Bils (Raymond Aynaud :1883-1968), qui fournit la petite presse satirique ou quotidienne depuis la Belle Époque.

Début février 1933, Bils, intervient une première fois au Club sur le thème « La Caricature : doit-on rire ou se fâcher », avec « démonstrations », c’est à dire des dessins en direct. Au mois de juin, il réjouit le public du Club avec une série de dessins « improvisés » en vue de présenter son ouvrage récent composé de caricatures et intitulé « Types du faubourg ». Le recueil comprend 31 pages, la plupart juxtaposant plusieurs portraits de personnalités. Seul.es 8 habitué.es du Club ont droit à une « caricature » pleine page, avec dans l’ordre d’apparition Léo Poldès, Madeleine Pelletier, Cécile Sorel, Francis de Croisset, le R. P. Mangold, Charles Sencerme, Jacques Reboul, Alexandre Zévaès. André Kaminker, l'autre « omniprésent » du Faubourg, doit se contenter d’un quart de page.

Bils figure Madeleine Pelletier en quelques traits, debout devant un coin de table sur lequel l'habituelle pendule sanctionne les bavard.es (qu'on retrouve sur d'autres croquis). L'oratrice y est coiffée d'un chapeau qui masque totalement sa chevelure, et vêtue d’un grand manteau. Elle s'adresse au public qu’on imagine sur la gauche, en hors-champ. Bils détaille peu le visage (contrairement à d'autres orateurices), tout en affublant Madeleine Pelletier d’un menton prognathe et d'un petit nez pointu en trompette. Le dessinateur a bien plus travaillé son croquis de Cécile Sorel, trouvant dans l’apparence physique de la comédienne (chapeau, coiffure, maquillage, bijoux, vêtements, gestuelle), de quoi nourrir sa virtuosité graphique. Une « matière » totalement absente chez Madeleine Pelletier…

L’apparence de la doctoresse tranche avec les photos que nous lui connaissons, datant d’avant la Grande Guerre, publiées dans la presse ou non. Elle y apparaît systématiquement les cheveux courts et la tête découverte, sauf lors des funérailles de Louise Michel (1905), sur une photo probablement non publiée (1912, Agence Rol) et dans une manifestation suffragiste, où elle arbore un chapeau (1914). On peut éventuellement en déduire que, dans l’espace public, Madeleine Pelletier sacrifiait à l’usage (l’injonction) qui contraignait les femmes à se couvrir la tête.

En 1935, Madeleine est traduite en justice pour une de ses interventions au Club du Faubourg. Elle y évoque la « dévirginisation », sujet qu'une affiche annonçant l'événement résume en deux questions lapidaires : « la nuit de noces est-elle un viol légal ? La jeune fille doit-elle être dévirginisée scientifiquement avant le mariage ? ». Elle connaît une nouvelle confrontation judiciaire l’année suivante avec son livre La Rationalisation sexuelle. Enfin, sur dénonciation, elle est accusée en 1939 d’avoir aidé une jeune mineure violée par son frère, à avorter. Madeleine Pelletier est alors condamnée et internée en asile d’aliéné.es où elle meurt quelques mois plus tard.

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