samedi 29 mars 2025


La brochure Le Droit à l’Avortement (première édition en 1913) de Madeleine Pelletier constitue un texte fondateur dans l’histoire des revendications féministes relatives à l’autonomie corporelle des femmes. Par une approche pluridisciplinaire – intégrant des dimensions biologiques, sociales, économiques, juridiques et politiques –, Madeleine Pelletier défend avec vigueur le droit des femmes à disposer librement de leur corps et à choisir d’interrompre une grossesse. Son argumentation s’inscrit en opposition aux normes religieuses, sociales et légales de l’époque, notamment l’article 317 du Code pénal, qui criminalise l’avortement et expose tant les femmes concernées que les praticiens à des sanctions pénales sévères.

Sexualité, reproduction et condition féminine : une analyse critique

Madeleine Pelletier entame sa réflexion par une analyse « bio-sociale » de la sexualité humaine. Elle observe que, bien que l’acte sexuel soit intrinsèquement lié au plaisir, la reproduction demeure une contrainte, particulièrement pour les femmes. Dans les sociétés dites « civilisées » (sic), la dissociation entre sexualité et procréation est marquée, les relations sexuelles dépassant largement les impératifs reproductifs. Cette réalité pose un dilemme spécifique aux femmes, qui, confrontées à une grossesse non désirée, en assument seules les conséquences socio-économiques.

L’auteure dénonce une condition féminine dualiste : dans le cadre marital, la femme est valorisée en tant que mère et éducatrice, tandis qu’en dehors de celui-ci, elle est fréquemment réduite à un objet de désir. Cette dichotomie, selon Madeleine Pelletier, perpétue une morale sexuelle inéquitable, privant les femmes d’autonomie reproductive. Elle souligne toutefois que l’émancipation économique et éducative progressive des femmes leur permet de revendiquer une sexualité libérée de l’obligation maternelle.

Contrôle des naissances et avortement : enjeux de classe et risques sanitaires

Madeleine Pelletier aborde ensuite la question de la restriction volontaire des naissances, une pratique déjà ancrée dans les classes aisées et émergente au sein du prolétariat. Si les premières limitent leur descendance par choix, les secondes y recourent principalement pour des raisons économiques, bien que les méthodes contraceptives disponibles – souvent inefficaces ou dangereuses – compliquent cette démarche.

L’auteure constate que, malgré les efforts de la propagande néo-malthusienne, les grossesses non désirées persistent, conduisant de nombreuses femmes à l’avortement clandestin. Elle décrit des pratiques hétérogènes, allant des interventions médicales illicites aux techniques artisanales à haut risque, et dénonce l’hypocrisie d’un système légal qui, en prohibant l’avortement, aggrave les dangers sanitaires. Elle plaide pour une légalisation encadrée, soulignant qu’un avortement médicalisé est une intervention bénigne, contrairement aux complications liées à sa clandestinité.

Statut du fœtus et autonomie corporelle 

Un aspect central de l’argumentation de Madeleine Pelletier réside dans la distinction nette qu’elle établit entre avortement et infanticide. Elle rejette catégoriquement l’assimilation du fœtus à une personne jouissant de droits, affirmant que la femme possède une souveraineté absolue sur son corps. Cette position, influencée par sa formation médicale, s’oppose aux discours religieux et moraux imposant la maternité comme une fatalité biologique ou une sanction du plaisir sexuel. Pour l’auteure, le critère déterminant de la personnification est la naissance, et non la conception.

La "raison d’État" et l’hypocrisie des élites : une critique socio-politique

Enfin, Madeleine Pelletier réfute l’argument conservateur de la « raison d’État », selon lequel la baisse de la natalité menacerait la puissance nationale. Elle rétorque que la procréation demeure motivée par l’affectivité parentale et que la dépopulation ne constitue pas un péril existentiel. Elle dénonce parallèlement l’hypocrisie des classes dominantes, qui incitent les prolétaires à une forte natalité tout en restreignant leur propre descendance pour préserver leur confort matériel. Pour Madeleine Pelletier, la maîtrise des naissances incarne un progrès civilisationnel, et la France, moins prolifique que ses voisins, en serait un précurseur.

Une postérité intellectuelle et militante

Le texte de Madeleine Pelletier anticipe avec acuité les débats contemporains sur l’avortement, soulignant que son interdiction accroît les risques sans en réduire la prévalence. Son approche, à la croisée du féminisme radical et de l’expertise médicale, reste d’une actualité frappante, alors que le droit à l’avortement est remis en question dans plusieurs pays. Le Droit à l’Avortement ne se contente pas de défendre une pratique médicale : il pose les jalons d’une réflexion sur l’égalité des sexes et la liberté corporelle, des enjeux dont la pertinence persiste plus d’un siècle après sa publication.

S..

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