Madeleine Pelletier, qui est alors membre du Parti Communiste et également franc-maçonne, situe son propos dans un paysage intellectuel marqué par un « revirement » vers le spiritualisme, qu’elle attribue à des causes suspectes, notamment des intérêts de classe. Selon elle, la bourgeoisie, confrontée aux revendications du « quatrième état » (les classes laborieuses), instrumentalise la religion pour maintenir son pouvoir. Ce retour au spiritualisme serait une stratégie politique visant à restaurer des croyances traditionnelles, plutôt qu’une démarche philosophique sincère.
La féministe souligne également le rôle de la peur de la mort dans l’adhésion au spiritualisme. La perspective de l’anéantissement, insupportable pour une « personnalité affirmée », pousse les individus à accepter des preuves fragiles, voire des « jongleries grossières », pour croire en une survie de l’âme. Cette analyse rejoint les critiques marxistes de la religion comme « opium du peuple », tout en y ajoutant une dimension psychologique.
Madeleine Pelletier conteste l’argument de Bergson selon lequel les imperfections des localisations cérébrales invalideraient le matérialisme. Elle cite des cas de patients atteints de lésions cérébrales pour montrer que le cerveau possède une plasticité permettant la création de nouveaux centres neuronaux. Pour elle, ces phénomènes restent strictement matériels : « tous ces phénomènes ont pour théâtre le corps humain et non l’étoile Sirius ». Elle rejette ainsi la distinction bergsonienne entre cerveau (instrument) et âme (essence), qualifiant cette dernière de « pure hypothèse ».
L’auteure défend l’idée que la personnalité émerge des états de conscience et évolue avec le corps. Elle souligne que la mémoire, bien que centrale à l’identité, dépend du cerveau : « Le moi n’est donc pas une entité, c’est un résultat ». Les maladies mentales (folie, démence) sont présentées comme des preuves contre l’âme immatérielle : comment une « âme spirituelle » pourrait-elle être altérée par des lésions corporelles ?
Madeleine Pelletier rejette le libre arbitre, défendu par Bergson comme preuve de l’âme. Elle argue que nos actions sont déterminées par des causes psychologiques ou physiologiques, même lorsque nous croyons agir librement. Par exemple, un choix apparemment libre (se jeter par la fenêtre) est en réalité inhibé par l’instinct de survie ou des motifs rationnels. Cette vision s’inscrit dans une tradition déterministe, proche du matérialisme dialectique (La conscience humaine est façonnée par les conditions matérielles de vie, notamment la position occupée dans les rapports de production, et non l'inverse).
Le spiritisme est dénoncé comme une supercherie exploitant le désir humain d’immortalité. Madeleine Pelletier ridiculise ses pratiques (tables tournantes) et souligne son manque de rigueur scientifique. Elle étend cette critique aux religions traditionnelles, accusées d’entraver le progrès scientifique et de servir des intérêts politiques réactionnaires.
Un texte avant-gardiste :
Médecin, l’auteure insiste sur la dépendance de la pensée et de la personnalité au cerveau, anticipant des questions centrales en neurosciences modernes. Ses exemples de plasticité cérébrale (par exemple des patients réapprenant à marcher malgré des lésions médullaires) préfigurent les travaux sur la neuroplasticité, qui montrent comment le cerveau se réorganise après des traumatismes. Les recherches actuelles sur la conscience, comme celles d’Antonio Damasio ou de Stanislas Dehaene, explorent comment les états subjectifs émergent de processus neuronaux, renforçant l’idée d’un « moi » comme résultat biologique plutôt qu’une entité immatérielle.
Madeleine Pelletier rejette le libre arbitre comme preuve de l’âme, arguant que nos choix sont déterminés par des causes psychologiques ou physiologiques. Ce débat persiste en philosophie de l’esprit et en sciences cognitives. Des expériences comme celles de Benjamin Libet (1980) suggèrent que des processus cérébraux inconscients précèdent les décisions conscientes, remettant en cause l’idée d’un libre arbitre absolu.
On retrouve encore aujourd’hui la dénonciation du spiritisme et des religions comme illusions répondant à un désir d’immortalité, chez des chercheurs en sciences sociales. Pascal Boyer (Et l’homme créa les dieux, 2001) explique les croyances religieuses comme des sous-produits de mécanismes cognitifs évolutifs. Madeleine Pelletier lie le spiritualisme aux intérêts des classes dominantes, une analyse reprise par des théoriciens critiques. Marx voyait la religion comme « l’opium du peuple », détournant les masses des luttes matérielles. Aujourd’hui, des sociologues étudient comment les croyances spirituelles sont instrumentalisées.
L’Âme existe-t-elle ? offre une critique incisive du spiritualisme, ancrée dans une défense militante de la science et du matérialisme. Ce texte est un témoignage des débats intellectuels du début du XXe siècle, marqués par l’affrontement entre tradition religieuse et modernité scientifique. Madeleine Pelletier y incarne une voix rationaliste, refusant de substituer aux incertitudes de la science les « illusions commodes » de l’âme immortelle.
Socialiste, puis communiste, anticléricale et libre penseuse, dès 1906, Madeleine Pelletier, lors de certaines de ses très nombreuses conférences, aborde la question du spiritisme, ou encore du rapport entre « Sciences et religion ». Elle publie en 1910 un ouvrage intitulé Idéologie d’hier - Dieu, la morale, la patrie. En 1928 encore, elle explorera une fois de plus cette thématique de « l’âme » lors d’une de ses interventions publiques.
S..
Lien vers le texte : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k67606m.image
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