Article biographique paru dans L'Eveil de la femme du 9 décembre 1932, accompagné d'une photo présente également dans le cahier autobiographique conservé à la BHVP, photo que nous reproduisons ici.
Madeleine Pelletier
est à la fois un des noms les plus représentatifs et une des plus
pittoresques figures du féminisme contemporain. Qui ne connaît la
silhouette énergique, menue et trapue à la fois, son visage aux
yeux bruns aigus, vif et gouailleurs, sa voix chaude et mordante,
ennemie des périphrases, et pour qui un chat est un chat dans ces
fameuses allocutions à la fois si directes, si nourries de savoir,
de logique, et si amusantes par leurs boutades - et leurs coups de
boutoir fameux. N'est-ce pas elle, lorsque Clemenceau se trouva mal à
la Chambre un jour d'excessifs surmenage, qui (rappelant incidemment
le mot sarcastique du Tigre sur les indispositions périodiques de la
femme lesquelles, d'après lui, l'exposant aux syncopes, faiblesses,
etc., la rendait impropre à la vie publique), s'écria en pleine
tribune : « Tiens ! Est-ce que Clemenceau a ses règles aujourd'hui
? » Elle dit le mot tout à trac, au milieu du délire de joie des
assistants. Elle en a dit bien d'autres, avec son terrible petit
sourire - et si on a parfois blagué (la parodie est la rançon des
précurseurs) ses cheveux coupés courts sur son veston tailleur, son
vert langage et sa libre dialectique, si pour certains timorés elle
sent un peu le roussi, ceux qui l’approchent rendent hommage à sa
belle vaillance de convaincue – et nos lecteurs savent le clair bon
sens de ses raisonnements.
Mais elle a d'autres titres à la
reconnaissance des féministes. C'est elle, ne l'oublions pas, qui,
bravant l'opinion, voire les huées, inaugura la propagande de la rue
(défilés en auto, banderoles, affiches, ventes-réclames, etc.) et
fit faire ainsi, de l'avis de tous, le premier pas dans l'air des
réalisations effectives à la cause. Ces temps héroïques sont
passés, Madeleine Pelletier elle-même adoucit ses ripostes au
vitriol des premiers temps de la mêlée. Mais l’assaut fut utile
qui nous ouvrit la brèche et c'est pourquoi L’Éveil a tenu dès
ses premiers pas à toucher la grande féministe - un des esprits les
plus virils, les plus loyaux et les plus libres dont non seulement le
féminisme, mais la recherche humaine puisse s'enorgueillir. On sait
avec quel dévouement spontané Madeleine Pelletier nous répondit.
Sans s'inquiéter ni de parti, ni de personnes, notre programme
d'union et de libre examen l’enthousiasmait, elle vint à nous.
Nous ne saurions mieux lui dire notre gratitude qu’en nous
efforçant de montrer à ceux qui, trop nombreux encore, ne
connaissent d'elle qu'une légende éclatante et un peu faussée, son
vrai visage de travailleuse intellectuelle, audacieuse, mais soumise
à la plus ferme raison, originale par son esprit piquant et sa
vision bien personnelle des choses mais de la plus simple, de la plus
fine bonne grâce dans son accueil privé.
Née à Paris (dans
le 2e arrondissement), Madeleine Pelletier, après de fortes études,
alors moins communes qu'aujourd'hui pour une jeune fille, se présenta
bravement au concours d'internat de l'Asile d’aliénés de la Seine
et, traitée de folle elle-même pour cette ambition, réussit avec
le concours de la presse à faire changer la loi. C'est alors que
dans le petit appartement du 14e, où elle exerçait la médecine,
vint la trouver Caroline Kauffmann, présidente du groupe de
Solidarité des femmes. La visiteuse aux cheveux blancs et au manteau
extraordinaire extrayait d'une profonde poche - une sonnette fêlée
! Emblème et symbole de la succession qu'elle lui offrait. Ce fut le
début de la carrière à proprement parler politique de M. Pelletier
qui entre la SFIO, défend à Limoges la motion, acceptée pour la
forme, du vote des femmes, et se jette dans l'action dont j'ai parlé
plus haut (N.B. Le socialisme lui reprochait alors son féminisme «
comme manifestation de classe » ! ) Hervéiste (l’hervéisme alors
était l'extrême gauche !) C'est l'heure des célèbres brochures où
avec une audace inégalée et tranquille, elle révise les logiques
humaines et sociales donnant la chair de poule à toutes les
Académies du statu quo.
Et puis, ce fut la guerre. Médecin et
écrivain, elle servit par l'article et la science « non la guerre
mais l'humanité ». Et dès 1921, elle est entreprend, sans
passeport ! Un voyage en Russie soviétique dont elle a donné le
récit piquant et instructif dans son livre aussi intéressant de
chez Giard : Mon voyage aventureux en Russie communiste.
C'était se mettre en no man's land. Le parti le lui fit sentir.
Tranquillement elle quitta la SFIO et elle entre à la PUP.
« Les femmes,
me dit-elle, doivent s'affilier à un parti pour faire leur fameuse
éducation politique sans préjudice du Grand Parti qui les englobe
tous : le Féminisme. »
Je ne rappellerai pas au public du
Faubourg qu'elle y parle souvent avec le succès que l'on sait. Mais
ce que je dirai c'est la surprise - oui, je l'avoue, - d'avoir trouvé
dans la célèbre lutteuse cette femme infiniment, délicatement
compréhensive, pleine de tact et de tolérance en même temps que de
foi dans ses opinions (beaucoup plus larges, d'ailleurs, qu'on ne le
croit communément) et dont le programme peut tenir en quatre mots :
chercher, comprendre, osez, s'unir.
À cette bonne ouvrière de
l'éveil de la femme qu'il me soit permis d'exprimer mon admiration
et mon estime.
Artiglio
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