lundi 21 avril 2025

La doctoresse Madeleine Pelletier par Artiglio (1932)


Article biographique paru dans L'Eveil de la femme du 9 décembre 1932, accompagné d'une photo présente également dans le cahier autobiographique conservé à la BHVP, photo que nous reproduisons ici.

Madeleine Pelletier est à la fois un des noms les plus représentatifs et une des plus pittoresques figures du féminisme contemporain. Qui ne connaît la silhouette énergique, menue et trapue à la fois, son visage aux yeux bruns aigus, vif et gouailleurs, sa voix chaude et mordante, ennemie des périphrases, et pour qui un chat est un chat dans ces fameuses allocutions à la fois si directes, si nourries de savoir, de logique, et si amusantes par leurs boutades - et leurs coups de boutoir fameux. N'est-ce pas elle, lorsque Clemenceau se trouva mal à la Chambre un jour d'excessifs surmenage, qui (rappelant incidemment le mot sarcastique du Tigre sur les indispositions périodiques de la femme lesquelles, d'après lui, l'exposant aux syncopes, faiblesses, etc., la rendait impropre à la vie publique), s'écria en pleine tribune : « Tiens ! Est-ce que Clemenceau a ses règles aujourd'hui ? » Elle dit le mot tout à trac, au milieu du délire de joie des assistants. Elle en a dit bien d'autres, avec son terrible petit sourire - et si on a parfois blagué (la parodie est la rançon des précurseurs) ses cheveux coupés courts sur son veston tailleur, son vert langage et sa libre dialectique, si pour certains timorés elle sent un peu le roussi, ceux qui l’approchent rendent hommage à sa belle vaillance de convaincue – et nos lecteurs savent le clair bon sens de ses raisonnements.
Mais elle a d'autres titres à la reconnaissance des féministes. C'est elle, ne l'oublions pas, qui, bravant l'opinion, voire les huées, inaugura la propagande de la rue (défilés en auto, banderoles, affiches, ventes-réclames, etc.) et fit faire ainsi, de l'avis de tous, le premier pas dans l'air des réalisations effectives à la cause. Ces temps héroïques sont passés, Madeleine Pelletier elle-même adoucit ses ripostes au vitriol des premiers temps de la mêlée. Mais l’assaut fut utile qui nous ouvrit la brèche et c'est pourquoi L’Éveil a tenu dès ses premiers pas à toucher la grande féministe - un des esprits les plus virils, les plus loyaux et les plus libres dont non seulement le féminisme, mais la recherche humaine puisse s'enorgueillir. On sait avec quel dévouement spontané Madeleine Pelletier nous répondit. Sans s'inquiéter ni de parti, ni de personnes, notre programme d'union et de libre examen l’enthousiasmait, elle vint à nous. Nous ne saurions mieux lui dire notre gratitude qu’en nous efforçant de montrer à ceux qui, trop nombreux encore, ne connaissent d'elle qu'une légende éclatante et un peu faussée, son vrai visage de travailleuse intellectuelle, audacieuse, mais soumise à la plus ferme raison, originale par son esprit piquant et sa vision bien personnelle des choses mais de la plus simple, de la plus fine bonne grâce dans son accueil privé.
Née à Paris (dans le 2e arrondissement), Madeleine Pelletier, après de fortes études, alors moins communes qu'aujourd'hui pour une jeune fille, se présenta bravement au concours d'internat de l'Asile d’aliénés de la Seine et, traitée de folle elle-même pour cette ambition, réussit avec le concours de la presse à faire changer la loi. C'est alors que dans le petit appartement du 14e, où elle exerçait la médecine, vint la trouver Caroline Kauffmann, présidente du groupe de Solidarité des femmes. La visiteuse aux cheveux blancs et au manteau extraordinaire extrayait d'une profonde poche - une sonnette fêlée ! Emblème et symbole de la succession qu'elle lui offrait. Ce fut le début de la carrière à proprement parler politique de M. Pelletier qui entre la SFIO, défend à Limoges la motion, acceptée pour la forme, du vote des femmes, et se jette dans l'action dont j'ai parlé plus haut (N.B. Le socialisme lui reprochait alors son féminisme « comme manifestation de classe » ! ) Hervéiste (l’hervéisme alors était l'extrême gauche !) C'est l'heure des célèbres brochures où avec une audace inégalée et tranquille, elle révise les logiques humaines et sociales donnant la chair de poule à toutes les Académies du statu quo.
Et puis, ce fut la guerre. Médecin et écrivain, elle servit par l'article et la science « non la guerre mais l'humanité ». Et dès 1921, elle est entreprend, sans passeport ! Un voyage en Russie soviétique dont elle a donné le récit piquant et instructif dans son livre aussi intéressant de chez Giard : Mon voyage aventureux en Russie communiste. C'était se mettre en no man's land. Le parti le lui fit sentir. Tranquillement elle quitta la SFIO et elle entre à la PUP.

« Les femmes, me dit-elle, doivent s'affilier à un parti pour faire leur fameuse éducation politique sans préjudice du Grand Parti qui les englobe tous : le Féminisme. »
Je ne rappellerai pas au public du Faubourg qu'elle y parle souvent avec le succès que l'on sait. Mais ce que je dirai c'est la surprise - oui, je l'avoue, - d'avoir trouvé dans la célèbre lutteuse cette femme infiniment, délicatement compréhensive, pleine de tact et de tolérance en même temps que de foi dans ses opinions (beaucoup plus larges, d'ailleurs, qu'on ne le croit communément) et dont le programme peut tenir en quatre mots : chercher, comprendre, osez, s'unir.
À cette bonne ouvrière de l'éveil de la femme qu'il me soit permis d'exprimer mon admiration et mon estime.

Artiglio

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